lundi 18 juin 2012

Le pédiatre en salle d’accouchement et la naissance du bébé


La Maternité de Pablo Picasso
 Cet article correspond à « mon expérience personnelle durant plus de 20 ans dans une des principales maternités de la région  ». La plupart des accouchements et des séjours en maternité se passent bien et heureusement le pédiatre se contente de dire aux parents que l’enfant est en excellente santé.
















Comment se passe, pour l’enfant, un accouchement normal ?

La naissance est l’aboutissement de la grossesse au cours de laquelle les parents et parfois les médecins se posent bien des questions. L’accouchement est un moment bref mais à haut risque même si la fréquence des accidents est faible.


Il n’existe pas d’accouchement facile. Certes pour les mères, certains accouchements sont plus simples.
Pour l’enfant c’est une situation de stress maximum, au sens physique du terme.
On peut comparer la situation du bébé qui nait, à celle d’un conducteur de 2 CV qui sort d’un tunnel trop étroit, avec un camion de 38 tonnes qui le pousse par derrière.

L’enfant est comprimé à tel point que son cœur ralentit. Le cordon qui apporte l’oxygène est également comprimé et l’oxygène indispensable au cerveau vient à manquer par moment .Or le cerveau ne peut guère supporter l’absence d’oxygène plus de quelques minutes.

Pour protéger son cerveau, le bébé libère de l’adrénaline (l’hormone du stress, de la panique) qui accélère le cœur et contracte les vaisseaux sanguins de tout le corps sauf ceux du cerveau, insensible à l’adrénaline. Les bras, les jambes et la peau non irrigués deviennent tout bleu. Le flux sanguin est totalement orienté vers le cerveau  du bébé.  De plus, le manque d’oxygène et l’accumulation de gaz carbonique entrainent une acidose (acidification du sang) qui favorise la diffusion de l’oxygène vers le cerveau.

On comprend donc, avec l’histoire du camion de 38 tonnes et de l’adrénaline que « naitre tout bleu » témoigne plutôt d’une bonne adaptation du bébé à cette situation de stress.

Cependant même si la nature est bien faite, il existe des critères obstétricaux pour juger de la conduite à tenir en cas d’accouchement particulièrement stressant.


Rôle du pédiatre en salle de naissance :

Si l’accouchement est normal, le pédiatre, comme le gynécologue, est inutile. Mais malheureusement, il existe des situations dramatiques au cours desquelles le pédiatre seul, quoiqu’en collaboration étroite avec l’équipe obstétricale, est amené à gérer des situations complexes et accomplir des gestes urgents. Le pédiatre est seul car la situation est souvent si urgente qu’il n’y a pas de temps pour discuter. Il faut agir vite.



Si l’accouchement est à risque, 

Pour avoir fréquenté très souvent la salle d’accouchement, le plus souvent lors de naissances à risques, j'ai l’expérience suivante :

Laryngoscope pédiatrique
Le pédiatre vérifie que la table de réanimation fonctionne, qu’elle est chaude, qu’il dispose de sondes d’intubation de tailles variées, d’un laryngoscope pédiatrique avec une lampe et des piles en état de marche, d’un cathéter ombilical et des médicaments d’urgence (glucose, adrénaline, oxygène)



Il regarde l’heure, évalue en un instant l’état physiologique de l’enfant (ce qui correspond à l’indice d’Apgar) qui permet de distinguer schématiquement 3 situations :

Pédiatre américaine remarquable
Apgar de 7 à 10 : tout va bien.

Apgar de 4 à 7 : c’est assez bien, mais il faut ramener l’enfant à un score meilleur. Une aspiration et un peu d’oxygène suffisent en général.

Apgar de 0 à 3 : mort apparente du nouveau né.







Analyser et agir très vite: une décision solitaire.

Les gestes importants sont :

-Assurer la libération des voies respiratoires le plus souvent en aspirant le nez et la gorge du bébé. Ventiler l’enfant avec de l’oxygène pur. Un masque suffit les 30 premières secondes
-S’assurer que le cœur bat et éventuellement procéder à un massage cardiaque.
-Si le cœur ne bat pas ou que très lentement, il faut intuber l’enfant, ce qui est plus pratique et efficace pour le ventiler et pratiquer le massage cardiaque.

La situation est réévaluée après 1 minute, 5 minutes  et 10 minutes.

Dès que la situation s’améliore, l’enfant est perfusé et reçoit une solution glucosée qui lui apporte un peu d’énergie.

En pratique : décisions très délicates :

Certaines situations sont difficiles pour le pédiatre et posent des cas de conscience. On a beau travailler en équipe, se préparer, on est parfois très seul devant un nouveau-né pour répondre en moins de 5 secondes à la question : que faire ?

Cas N° 1 : Maladie génétique non viable :

Ce nouveau né respire très mal, est tout bleu, avec une toute petite cage thoracique. Je ne sais pas pourquoi cet enfant est ainsi. J’ai l’intime conviction qu’il ne vivra pas longtemps. « L’intuber le ventiler, le perfuser, n’est-ce pas prolonger vainement sa vie ? » En 5 secondes, je décide cependant de faire tout cela. Puis l’enfant est transféré en Unité de soins intensifs.

Je préviens les parents que la situation est très sérieuse. L’enfant ne survit pas longtemps. Il avait une Myotonie de Steinert à révélation immédiate, transmise par la mère.

La maladie de Steinert est très rare, génétique, à transmission  dominante. Un seul gène reçu d’un des parents donne la maladie. Elle s’aggrave à chaque génération, pouvant se déclarer vers 60 ans pour la première personne atteinte (par mutation de novo), vers 30 à 40 ans pour la génération suivante, puis 20 ans et ainsi de suite. Lorsque la maladie, récente dans la famille et parfois ignorée ou déniée, est transmise pas la mère, une forme néonatale grave peut survenir. La connaissance d’un cas familial permet un diagnostic prénatal.

Ce fut affreux pour les parents, Mais ils purent décider quelques années plus tard d’envisager d'avoir un autre enfant grâce à un diagnostic prénatal par biologie moléculaire.



Cas N° 2 : Souffrance fœtale aiguë :

La maman présente une toxémie gravidique à 34 semaines de grossesse. La tension artérielle monte brutalement à 25. Le bébé souffre. Une césarienne en urgence est faite et on me tend un bébé tout blanc immobile sans respiration, ni bruit du cœur. L’anesthésiste, habituellement d’un grand secours, est occupé par la maman qui va mal. J’ai cette pensée fugace « mais que voulez-vous que je fasse avec cet enfant qui n’a pas l’air vivant? Depuis combien de temps est-il ainsi? »
Je n’ai pas le temps de réfléchir plus longtemps. Je l’aspire, l’intube et commence le massage cardiaque pendant qu’une infirmière le ventile avec de l’oxygène pur. A ma grande surprise, il revient très rapidement à lui. Sa glycémie est normale. Une perfusion lui apporte des calories. J’hésite à l’extuber, tant il va bien. Il est transféré en pédiatrie. Il pèse 1,6 kg pour 42 cm.

A un an,  il marche, se développe parfaitement. A 8 ans il est plutôt grand (132 cm) et en pleine santé.




L’annonce du handicap, certitudes et incertitudes :

L’annonce du handicap est un thème récurrent des publications pédiatriques.
En maternité, il faut à la fois informer immédiatement les parents mais également ne pas se tromper. C’est quasiment inhumain. Les petits handicaps sont facilement pris en charge même s’ils sont vécus douloureusement par les parents.

Les grands handicaps sont une déchirure pour tous. Je prendrai quelques exemples plutôt que de donner des considérations générales.

Cas N° 3 : Trisomie 21 ou Mongolisme :


C’est une maladie liée à la présence d’un chromosome 21 excédentaire. Sa fréquence à diminuée avec le dépistage. Les associations de parents nous disent qu’il faut un diagnostic précoce.
L’enfant est vu en salle d’accouchement. Le diagnostic est suspecté par l’équipe qui a fait l’accouchement. . Pour un pédiatre habitué, le diagnostic est relativement facile. Aucune erreur ne peut être tolérée.  Pour un médecin non pédiatre, ce peut  être impossible. Outre l’apparence,(crâne petit, yeux et langue particuliers) il existe une hypotonie axiale flagrante.Il existe d'autres signes précisant le diagnostic en particulier au niveau de la main.
J’ai hésité 2 ou 3 fois : dans ces cas, les enfants étaient normaux malgré leur apparence. J’ai décidé que, dans l’urgence lorsque j’hésiterai, je dirai aux parents « tout va bien ». C’est ce que je fais. Par bonheur, ou par expérience, je ne me suis jamais trompé.


     En effet en cas de trisomie, si l'on est pédiatre, il faut être sûr. On ne peut pas dire aux parents qu’on hésite, que peut-être ..., qu’il faut attendre le résultat des examens complémentaires qui demandent plusieurs jours … etc.  De plus, le diagnostic est parfois annoncé à la mère seule lorsque le père « épuisé par l’accouchement » est parti se reposer. La mère qui a en général parfaitement perçu le malaise, nous harcèle, à juste titre, de questions qui demandent des réponses immédiates. On ne peut pas la quitter en la laissant dans l’incertitude. Certains parents ne comprennent pas ou ne peuvent pas comprendre les mots « trisomie 21, ni mongolisme ». Il faut donc parfois dire « mongolien » même si cela fait grincer les puristes.

Dans ces situations, les gynécologues font souvent appel au même pédiatre, plutôt doux simple et rassurant, mais il n’a rien de bien agréable à annoncer un tel handicap. L’expérience montre que malgré toute notre douceur, les parents choisissent pour la suite un autre pédiatre (non porteur de mauvaises nouvelles). On les comprend.

Cas N° 4 : Dysmorphie faciale sévère :

Une autre fois l’accoucheur (plein d’expérience) m’appelle en urgence en me disant « viens voir cette enfant : elle a une tête bizarre, elle doit avoir un chromosome en trop » comme s’il voulait dire « une trisomie ». Elle a effectivement une tête très bizarre, enfoncée à droite, bosselée à gauche, mais avec cela, un examen neurologique parfait, un bon tonus. Je déduis que ce bébé a été comprimé dans le ventre de sa mère et que tout ceci s’arrangera en moins de 3  mois. Inutile de préciser que « la tête de la mère » se transforme au fur et à mesure que je lui parle. Cette petite fille, si « déplaisante » à la naissance est devenue l’une des plus belles de ma consultation. Comme quoi tout peut changer, et la mère a gardé le gentil pédiatre ! On la comprend.
.


Cas N° 5 : Agénésie des doigts :

Agathe est un très joli petit bébé, mais elle n’a que des ébauches de doigts avec de minuscules ongles à la main gauche. Curieusement, la malformation pourtant majeure ne semble pas dérouter la maman: "elle fera avec!"
Une question vient immédiatement : que pourra faire cette enfant avec une seule main ? La réponse est simple : on peut pratiquement tout faire avec une seule main car on s’adapte très bien. Quelques questions vont surgir lors de la mise en maternelle « et pourquoi ci et pourquoi ça ? » demanderont les autres enfants durant la première semaine puis tout sera fini. Pour éviter cela, l’année suivante l’orthopédiste propose une prothèse à visée purement esthétique. L’enfant la porte deux jours puis l’abandonne car elle la trouve gênante. La maman et son pédiatre la comprennent.



Conclusion :

    Comme je vous l’avais annoncé au début, ce chapitre n’est pas très gai. Mais les enfants sont par bonheur surtout sujets "à la bonne santé" ou à des guérisons rapides. Il y a le plus souvent des bonnes nouvelles à annoncer.

Rarement, certaines situations évoluent très mal, mais d’autres au départ dramatiques évoluent  très bien. Le pédiatre fait du mieux qu’il peut avec son savoir faire, ses connaissances obligatoirement fragmentaires, son sens de l’urgence. En toutes circonstances, il faut rester efficace mais aussi, humain et doux avec les parents qui sont si fragiles à cette période.

De nombreux progrès ont été fait depuis ces temps anciens, Dr Laborde 1894 !

En forme de souhait :

"Parents : comprenez que les pédiatres, les obstétriciens, les anesthésistes, les sages-femmes,  et tous ceux qui s’occupent de l’enfant et de la mère font un métier très difficile et à très haut risque. Ils doivent savoir prendre sans tarder des décisions, qui engagent l’avenir de toute une vie. Ces professions risquent de disparaître. 
Soyez compréhensifs avec eux comme vous l’avez été avec moi. Merci."

                                     Mis à jour le 15 /06/2012

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